En 2028, c'est une ville française qui se verra labelliser « Capitale européenne de la culture ». Bourges, Clermont-Ferrand, Montpellier et Rouen sont les quatre villes finalistes pour être désignées à ce titre. Réponse définitive en décembre 2023… Et ça se joue maintenant !
Mais de quoi Capitale européenne de la culture est-elle le nom ? En 2004, à Lille, elle était l'autre nom d'Euralille, immense centre commercial et quartier d'affaires, et de « la super-commune européenne » qu'aurait dû incarner la gigapole Londres-Lille-Bruxelles. En 2013, à Marseille, elle était celui d'Euromed et de la gentrification que cet autre projet de quartier d’affaires et de logements haut-standing impliquait. À Rouen, elle est celui de l’Axe Seine, projet industrialo-portuaire et logistique, fleuve-usine de 300km de long, qui fera du territoire s'étalant de Paris jusqu'au Havre, une seule et même Métropole.
« Ça m'a beaucoup touché de voir l’euphorie des Lillois, c'était la cerise sur le gâteau de toute la restructuration menée depuis 1980. » (Pierre Muyle, Libération, 11 décembre 2004). « Mon grand-père de 90 ans était agriculteur et vivait dans les sassi [habitat troglodyte de Matera, en Italie]. Mais jamais il n'aurait imaginé voir du wifi ou des jacuzzis dans ces grottes préhistoriques ! » (un habitant de Matera, Capitale européenne de la culture 2019). « Le rôle d'une Capitale européenne de la culture est de favoriser la croissance d'un territoire. » (Ariane Bieou, Chargée du programme culturel de Matera 2019).Qu'entendre encore derrière cette étrange logorrhée de Didier Fusillé, Directeur de Lille 2004 ?
« Nous avons rêvé Lille 2004 comme un astronef parcourant les anneaux de vitesse d’une ville organique où toutes les métamorphoses seraient possibles. Chacun peut y vivre à son rythme, traverser les mondes parallèles aux accents lointains, flâner sur les nouvelles frontières déjà abolies des maisons Folie… » Certainement pas la tentative de création avortée d’une métropole « Londres-Lilles-Bruxelles » dont les maisons Folie, sortes de maisons de la culture d’un nouveau genre érigées dans les ruines de la ville industrielle d’hier, constituaient les fondations symboliques. Comment y entendre le projet de revalorisation du foncier de certains quartiers que ces maisons Folie auraient dû insuffler ou encore leur rôle ambigüe, à l'instar des « Nouveaux territoires de l'art » expérimentés à Marseille, qui visent à en faire les têtes de pont de la politique urbaine ou de la pacification ?Ici, les équipes de Rouen Seine Normande 2028 veulent marquer leur différence et insistent : aucun projet immobilier, pas de création d'infrastructures, pas de projet urbain, pas même un désir d'attractivité à tout crin... Alors, que doit-on entendre dans « ce n'est pas Rouen qui candidate mais le fleuve » ? Ou dans « la Seine est notre directrice artistique » ?
Pourquoi tente-t-on de nous faire considérer comme naturel, et surtout naturellement nôtre, un territoire qui épouse étrangement les contours du plus gros programme de réindustrialisation de France : l'Axe Seine. Et qui vise à transformer le fleuve en immense complexe industrialo-portuaire et logistique, à l'heure où ces activités sont particulièrement mises en cause dans la proche disparition de l’espèce humaine ? Comment ne pas entendre derrière des slogans comme « je risque la fête » ou « je défriche les usines » une invitation à célébrer l'industrie ? Le danger inhérent au projet industriel (fût-il décarboné) que la montée des eaux aggrave.
Plus que favoriser la très discutable « croissance des territoires », les Capitales européennes de la culture visent le plus souvent à imprimer dans nos consciences la carte désirable d’un territoire imposé. Et ce, par mille invitations à embarquer dans quelques gesticulations collectives comme un bal auquel tout le monde est convié à se rendre habillé de blanc, à Lille, ou encore une chorégraphie de bâtiments en carton portés par les Marseillais. Si le sort de Rouen est aux mains des membres du comité européen qui viendront très prochainement nous visiter pour savoir si le projet est à même de transformer notre territoire, peut-être est-il encore temps de s'interroger sur la désirabilité de cette transformation...11/13 rue Saint Etienne des Tonneliers
76000 ROUEN
FRANCE
(+33) 2 35 70 40 05