PROSPECTIVES APOCALYPTIQUES DE LA MÉTROPOLISATION DE LA VALLÉE DE SEINE
« Nous sommes prisonniers de notre mental quotidien. Pour percer le mur de l'imaginaire, il faut faire appel à des personnes qui pensent en dehors du cadre : les auteurs de science-fiction sont de ceux-là. » Emmanuel Chiva, directeur de l'AID (Agence de l'Innovation de Défense en coopération avec l'État-Major des armées).
La « métropolitique » nous fait vivre un état de projet(s) permanent. Localement, il se traduit ainsi : Axe Seine, métropolisation de Paris au Havre, capitale européenne de la culture, réindustrialisation du fleuve, dépollution, zones à faible émission, transports doux, cabotage de vélo cargo (réintroduisant, notons-le au passage, la notion de travail de force), première ZES (Zone Économique Spéciale) de France, etc.
Autant de récits du futur portés par une multitude d’acteurs (industriels, économiques, politiques, experts) les ré-agrégeant en autant de storytellings variants en fonction de leurs destinataires, leur audience, leurs spectateurs peut-être.
Autant d’histoires qui mettent en récit une série d’actions semble-t-il homogènes sur un territoire sans cesse élargi. Actions bien réelles dont nous ne pourrons envisager les effets sur le terrain que dans de nombreuses années ; comme nous le faisons aujourd’hui des décisions et non décisions passées.
Ainsi, depuis la date de sa proclamation, nous attendons sur la Zone Économique Spéciale de Port-Jérôme-Sur-Seine les premiers travailleurs détachés et les profonds changements sociaux et urbains que cet espace de dérèglement ne manquera pas de provoquer.
Or, déjà, d’autre villes de France appellent de leurs vœux l’implantation de ce type d’espace économico-industriel pour ainsi dire « off-shore » sur leur territoire. Ceci sans recul, laissant au futur la responsabilité de juger de son intérêt ; trop tard peut-être.
En 2019, à Rouen, Lubrizol brûlait ; nouvel « incident » sur cette zone industrielle pourtant déjà prophétisé dès les années 1980 par Haroun Tazieff ou plus récemment par l’auteur Jean-Pierre Levaray, faisant écho à la conscience du danger de nombre de travailleurs du secteur industriel. Il faut dire que dans le milieu, on s’y connaît, et qu’il n’est pas rare de connaître personnellement quelques victimes d’accident industriel… Pardon : d’accident du travail. Autant d’alertes restées lettres mortes.
Ne peut-on vraiment que constater, trop tard, les méfaits et souffrances générés par les projets urbains, économiques et industriels ? Le futur et son récit n’appartiennent-ils qu’aux industriels, politiques, financiers, urbanistes et architectes ? Attendrons-nous 2034 (ou 2084?) pour juger de la pertinence d’un redéploiement industriel du Havre à Paris ? De celle de Rouen, Capitale européenne de la culture, ou encore du développement de zones d’exceptions comme les ZES ?
En 2012, le Ministère de la Défense annonçait en grande pompe la création de la Red Team, équipe d’auteurs de science-fiction chargés d’imaginer les scénarios des futures menaces. Analystes et chercheurs de la Red Team viennent d’ailleurs de publier un ouvrage dans lequel ils imaginent les conflits possibles à l’horizon 2030-2060 : Ces guerres qui nous attendant (2022). Simple lubie ? Coup marketing ? Ou véritable tentative de pousser au bout une démarche de recherche documentée jusqu’à ses possibles effets ? C’est ce qu’aujourd’hui nous nous proposons de faire autour de l’Axe Seine.
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De quoi construire des ruines : « Un cahier documentaire »
Comme préalable à ce travail, il convient d’agréger un ensemble de documents déjà produits et à produire, capables de rendre compte de l’ensemble des projets en cours et en gestation sur l’Axe Seine, des situations de crise ou critiques que ces projets sont susceptibles d’impacter, ainsi qu’une documentation sur des projets similaires ayant aboutis ailleurs à des situations critiques (Russie et Pologne en particulier en ce qui concerne par exemple les ZES).
Il faut entendre ce cahier comme l’on entend le cahier du mal logement de la fondation Abbé Pierre. C’est à la fois un état des lieux des projets à venir, des dysfonctionnements actuels et de leur probable amplification. C’est enfin un exercice de prospective se basant sur les aggravations sociales, économiques et urbaines déjà à l’œuvre. Ce cahier tente par conséquent de répondre à trois questions : que faire de la parole des spécialistes du projet politique, économique, urbain et industriel ? Que faire de la parole populaire et inaudible ? Et, enfin, que faire de la parole des experts mineurs et/ou sectorisés ? C’est de l’interaction des discours que ces différents groupes portent sur le futur que devront naître nos écritures dystopiques et apocalyptiques. Ce cahier documentaire visera à croiser et organiser notre travail de recherche et l’ensemble des scénarios, prises de position et projets officiels sur cet espace, autant que la parole et les réalités des habitants les plus soumis aux risques actuels et à venir.
Un cahier documentaire sous forme de centre ressource en ligne agrégeant le maximum de projets à venir et d’intentions publiques autour de l’axe Seine (installation d’une usine d’hydrogène par la société Air Liquide, usine de recyclage plastique par Exxon pour produire de l’huile moteur, discours sur les corridors logistiques par leurs architectes et leur possible disparition assumée, analyse du risque industriel et hydraulique, Zones - économiques spéciales ZES, à faible émission ZFE, naturelles, industrielles, Seveso, etc.)
À cet ensemble s’adjoindra le matériel textuel, sonore, cartographique et filmique déjà réalisé par Echelle Inconnue sur différents territoires et susceptible de le nourrir (films sur les nomades de l’industrie, sur les Voyageurs contraints de vivre en Zone Industrielle et sur le site de la première Zone Économique Spéciale de France, par exemple).
Le temps de ce cahier sera aussi un temps de production engageant un travail d’entretiens : le VidéoMaton des ruines du futur. Par ce travail nous partirons de manière légère (un fond noir, deux projecteurs, une caméra et des micros) à la rencontre de spécialistes (du risque naturel ou industriel, de l’urbanisme, du transport, de l’économie portuaire) mais aussi des invisibles d’aujourd’hui plus particulièrement impactés par les dérèglements de demain et déjà experts des dérives des systèmes économiques, politiques et territoriaux : militants, syndicalistes, ouvriers fixes ou mobiles, Voyageurs, dockers, pilotes de vélo cargo, Ubers et autres travailleurs de force, etc. Le temps d’élaboration de ce cahier sera aussi celui de les inviter à prononcer à leur endroit des scénarios dystopiques possibles ou, plus simplement, comment envisagent-ils l’aggravation de leur existence. Cet ensemble rejoindra le cahier documentaire sous forme brute ou sous forme de montages thématiques.
Enfin, la programmation future et résolument dystopique de nos Doctorats Sauvages en Architecture, en Numérique et en Cinéma, viendra elle aussi nourrir ce cahier (textes, captations vidéo des conférences, ressources iconographiques et audiovisuelles).
QUATRE CAVALIERS DE L'APOCALYPSE EN RÉSIDENCE. QUATRE SCÉNARIOS DES RUINES À VENIR. UN LIVRE.
C'est ce cahier que, dans le deuxième temps de ce projet, nous soumettrons à quatre cavaliers de l'apocalypse, auteurs de science fiction, pour en tirer quatre courts scénarios dystopiques, les invitant à écrire in situ lors de résidences sur quatre sites de l'axe Seine comme Port-Jérôme-Sur-Seine, Limay, Le Havre et la zone industrielle de Rouen/Petit-Quevilly.
Puisque même de l'apocalypse on ne peut faire ce que l'on veut, à ce cahier documentaire s'adjoindra un cahier des charges dessinant une série d'étapes obligatoires, pour ne pas dire un chemin de croix, invitant les auteurs à intégrer (par exemple) à leur ouvrage les populations qui nous sont chères et que le futur continuera sans doute à oblitérer (Voyageurs, Travellers, main-d'œuvre industrielle fixe, détachée, nomade ou en déplacement, forains, sans-abris, etc.) Dans la même ligne, une attention particulière sera portée sur les conditions de logement et d'habitat en période post-apocalyptique (développement du logement de la main d'œuvre et des indésirables en tiny-houses ou en campements gérés par la force publique ou industrielle, localisation conditionnée par la proximité avec l'entreprise pour limiter l'impact environnemental des déplacements, etc.)
CONSTRUIRE UN CINÉMA SUR LES RUINES DU FUTUR
Outre leur publication, ces récits donneront lieu dans un troisième temps à un travail de production graphique, vidéo, cartographique et sonore. Un travail que l’industrie cinématographique range dans la catégorie du repérage et que nous désirons rendre public. À ce stade, nous imaginons la création d’un lieu : « le cinéma des ruines du futur », espace scénographié où l’on pourra voir les projets d’affiches de films, les entretiens vidéo ainsi que les travaux photographiques, sonores et cartographiques comme autant de possibilités de traverser les paysages de l’Axe Seine, décors déjà apocalyptiques. Nous convierons à cette étape des directeurs de la photographie, des ingénieurs du son et créateurs sonores, des spécialistes du repérage et de la recherche de décors, des recherchistes et documentalistes… Il est aussi souhaitable de travailler avec les structures aidantes du territoire tant en matière d’archive que de connaissance des lieux qui le compose.
Cet espace fixe et unique (notre galerie scénographiée par exemple) pourra aussi se déployer de façon nomade lors d’installations de campements comprenant a minima un espace de lecture et de projection (notre Ciné-truck MakhnoVan) et un espace d’exposition (notre tente ACDC, « Atelier Cartographique De Campagne »). Une dispersion de ce lieu dans différentes villes de l’Axe Seine (de Paris au Havre) pourra aussi être envisagée.
Le(s) film(s)
Dernier temps de ce travail, enfin : la réalisation. Porté conjointement par Echelle Inconnue et notre société de production Les Films Déplanifiés, l’ensemble de ce travail veut donner naissance à des films, ramassant, synthétisant et portant à l’écran ces futurs possibles sous la forme d’un ou plusieurs films portés par un ou plusieurs réalisateurs dont Stany Cambot.
Publications
La route du chaos
Battle pour un comédien et une vidéo
Videomaton du désastre
Doctorat Sauvage en Architecture Le Replay
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