Menu

POUR AIDER SNCF IMMOBILIER à êTRE à LA HAUTEUR DE SES AMBITIONS SOCIéTALES

LA FRICHE NIGLO


La friche Niglo

Voilà un moment déjà que le feu s'est éteint. De temps à autre, aux abords de l'usine, l'odeur d'hydrocarbure brûlée revient aux narines. Lubrizol, aujourd'hui mis en examen pour « atteinte grave » à la santé et à l'environnement, a rouvert avant la fin de l'enquête. Et sur le fleuve, dans l'effervescence déclenchée par l'incendie, c'est un ballet précipité de navires sous tout pavillon, y compris russe : ça déplace et ça transborde on ne sait trop quoi. La catastrophe aussi s'inscrit dans l'économie-monde.

Cependant, à quelques centaines de mètres de l'usine, rien ne bouge. Les habitants de « l'aire d'accueil gens du voyage » de Rouen-Petit-Quevilly, dont certains sont là depuis près de vingt ans, demeurent en pleine zone Seveso, au milieu des rats, saupoudrés des poussières toxiques des silos à grains tout proches et sous la menace d'un nouvel accident. Après leur plainte pour mise en danger de la vie d'autrui, leur audience à l'Assemblée nationale et plusieurs sujets sur les chaînes nationales… Rien ou presque.

Nous étions présents lorsque les agents de la métropole qui gèrent les aires d'accueil de son territoire sont venus, papiers en main, soumettre aux habitants la proposition de relogement. Elle tient en peu de lignes. Alors que la métropole s'était engagée oralement et sous la pression médiatique à mettre à disposition un terrain provisoire en zone non polluée, elle revenait ce jour-là avec une liste d'emplacements disponibles sur d'autres aires d'accueil de la région, proposant ainsi à cette famille élargie d'occupants de se disséminer sur l'ensemble du territoire. Quand un des voyageurs fit remarquer vertement aux agents qu'une des aires proposées était d'ores et déjà complète, ceux-ci lui répondirent qu'il s'agissait d'occupants illégaux. Charge à qui, dès lors, de les déloger ? Les Voyageurs eux-mêmes ? Au fil de la discussion les choses se précisent : les habitants de l'aire d'accueil de Rouen-Petit-Quevilly qui ne sont pas à jour de leur loyer ou n'ont pas rempli leur fiche d'occupation sont aussi considérés comme illégaux et n'ont pas à être relogés. Une mère apprend que sa fille est considérée comme telle car sa caravane déborde sur un emplacement qui n'est pas à son nom. Finalement, à ce jeu de sélection du bon et du mauvais Manouche, on apprendra de la bouche des agents de la métropole « qu'ils n'étaient pas si nombreux au moment de l'incendie ! Hein !?» C'est du moins ce qu'affirment les agents qui ne vinrent visiter les habitants que plusieurs jours après l'incendie pour réclamer le paiement des loyers. Depuis, les vexations et intimidations se poursuivent : visite des forces de l'ordre et d'huissiers en tout genre pour constater le moindre manquement au règlement intérieur, ou encore une plainte de Lubrizol contre les enfants du terrain, accusés de jeter des pierres sur l'usine…

Cependant à 3,7 km en amont du fleuve, métropole et SNCF célèbrent l'urbanisme transitoire

Alors que les solutions temporaires et urgentes de relogement des Voyageurs semblent manquer, la SNCF laisse, pour deux ans, les clés de 3 000 m² de son foncier à la société L'Atelier Lucien, spécialisée dans la création de lieux culturels et de sociabilité. Celle-ci y installera, du 10 avril au 4 octobre 2020 et 2021, un village artistique temporaire (dancefloor, bar, galeries, etc.).

Cette opération, sans doute à ranger dans la catégorie « culture, sport, loisir, attractivité et développement », s'inscrit bel et bien dans le logiciel métropolitain et collaboration pacifiée des institutions. À l'instar du port autonome, la SNCF se pose aujourd'hui volontiers comme l'un des principaux propriétaires fonciers de France avec lequel les politiques urbaines doivent désormais compter. Par effet de vases communicants, la privatisation et l'émiettement de la société ferroviaire d'État, devenue au 1er janvier dernier société anonyme, libère des terrains désormais inexploités que l'entreprise entend bien valoriser. Pour ce faire, en 2015, a été créée SNCF Immobilier, société de gestion du parc.

L'urbanisme transitoire par SNCF Immobilier

« Le but de cette démarche est de faire vivre de manière éphémère, et dans l'attente de leur reconversion, certaines emprises SNCF inutilisées. Les projets de sites artistiques temporaires [...] ont une forte dimension d'insertion dans un souci de dialogue avec le territoire, les voisins et les logiques urbaines » peut-on lire sur le site de l'entreprise.

Mais dans les bureaux, pendant les réunions plus opérationnelles ou politiques, on parle plus volontiers de « sécurisation par l'occupation », cette occupation du site empêchant la venue d'occupants temporaires moins désirables.

L'aménagement de la Friche Lucien à Rouen est d'ailleurs de ce point de vue exemplaire. Son porche d'entrée, composé d'un empilement de containers, reprend le traditionnel dispositif de barrières anti-Manouches, la hauteur empêchant le passage d'une caravane.

Le fameux « bottom-up », tout comme la préfiguration de la ville durable du futur, semblent céder la place au vieux principe de préservation du patrimoine foncier ou immobilier, voire de valorisation de celui-ci. Certes, on enverra tout de même quelques équipes de recherche-action ou autres diagnostiqueurs pour voir s'il n'y aurait pas quelque chose à tirer de l'expérience et surtout, être en mesure d'en publiciser la dimension humaine et sociale pour les plaquettes à venir. Quelques projets phares masquant alors la forêt des petits et plus humbles projets de gardiennage.

La fondation Bouygues ne s'y trompe pas quand elle dit que « L'essor récent de l'urbanisme tactique est de bon présage, car en sortant du cadre militant et citoyen il pourrait intéresser les pouvoirs publics et le secteur privé. Lauréate de l'appel à projets “Ville respirable” lancé par Ségolène Royal, la ville de Rouen a engagé depuis quelques années une réflexion sur la place de la voiture. Sur les années à venir, elle prévoit d'expérimenter de l'urbanisme tactique dans les soixante et onze communes de sa métropole. Des actions qui devraient intervenir principalement sur du temps court – rarement plus d'une année – mais dont l'enjeu repose sur la capacité d'une action à faire émerger un débat public, et à proposer une alternative à un aménagement existant ou prévu. » Et de citer aussi les expériences à Paris, place de la Nation, où étaient invités à travailler le Collectif Coloco ainsi que Placemeter, entreprise aujourd'hui propriété de Netgear et Arlo qui développe par vidéo-surveillance l'analyse du mouvement des foules et passants en temps réel.

À la croisée de l'expérimentation citoyenne et de la préfiguration de vastes transformations urbaines, l'urbanisme tactique est une intervention à petite échelle, de courte durée et à petit budget dans l'espace public. Moyen idéal pour connecter urbanistes et habitants, l'urbanisme tactique se propage un peu partout en France et dans le monde. Et c'est de bonne grâce que les architectes assoiffés de démocratie métropolitaine et autres métropoles hospitalières se précipitent pour valider cette tactique immobilière et même en faire la publicité à l'international comme ce fut le cas lors de la dernière Biennale d'architecture de Venise. Ainsi, lors de l'émission de radio Plateau Georges à laquelle nous étions invités, la fine fleur des « collectifs d'architectes » parlait volontiers foncier avec la représentante de SNCF Immobilier.

Alors que Bruit du Frigo s'interrogeait sur la disparition de la politique de la ville au profit de ces nouveaux espaces d'expérimentations et le glissement du travail expérimental des espaces de vie existants et délaissés au profit d'une certaine marche en avant, pour ne pas dire conquête et expansion territoriale non maîtrisée, la représentante de SNCF Immobilier affirmait que « ce qui se passe sur ces lieux est une forme de nouveau service public (…) qui répond à des besoins de la société. »

Si nous la prenions au mot sans doute pourrions-nous proposer à SNCF Immobilier d'être précurseur et d'envisager la mise en place d'un projet de logement temporaire pour les Voyageurs aujourd'hui encore parqués au pied des usines. Un tel projet d'accueil de « gens du Voyage » en centre-ville serait sans doute une première. Et nous serions tout à fait prêts à en accompagner, tant d'un point de vue urbain qu'architectural, les nouveaux usages que l'on voudra bien y voir se développer : atelier mécanique, recyclerie, accueil temporaire de populations mobiles ou festival des mobilités réelles. En somme, se montrer à la hauteur de ce très beau programme de « Fabrique innovante et agile, héritière de l'histoire du rail et du train, s'attachant à conserver et revisiter le patrimoine industriel des sites ferroviaires en les métamorphosant en de nouveaux morceaux de ville, accompagnant ainsi les mutations urbaines et sociétales de notre temps. »

Sommaire du numéro 9
--------------------

RETOUR







Nous contacter.

Send Us A Message
Sending...
Your message was sent, thank you!
Contact Information
Adresse

11/13 rue Saint Etienne des Tonneliers
76000 ROUEN
FRANCE

Téléphone

(+33) 2 35 70 40 05